mardi 20 janvier 2015

#jesuis….

"Ma chérie,

Il y a plus de 10 jours, un événement terrible s'est passé à Paris. Tu sais Paris, c'est là où ton père et moi nous avons grandi. Mais tu ne connais pas bien cette ville, je ne t'y emmène pas assez et je le regrette.

Il y a 10 jours, deux fous sont entrés dans un immeuble, armés comme si c'était la guerre et ils ont tué 12 personnes qui travaillaient pour un journal satirique. Ils ont tué à cause de leurs dessins... Tu sais, il se passe des choses affreuses partout dans le monde, la cruauté et la bêtise des hommes déciment des familles. Mais toi, tu ne connaitras pas ça : on te protège, on te cajole, on te fait vivre dans un confort parfois inutile.
J'ai pleuré quand j'ai appris ce qui s'était passé. Au début, je n'ai pas compris pourquoi cela m'avait rendue aussi triste, cela allait bien au delà de l'émotion que je ressens quand j'entends les vilaines nouvelles du monde entier.

Puis, j'ai lu des articles. Je n'ai pas été très présente pour toi et ton frère les jours suivants, vous vous plaigniez souvent que je passe trop de temps devant mon ordinateur mais je voulais comprendre.

Ca a fini par faire un déclic.

Je ne connaissais pas personnellement les personnes qui sont mortes et pourtant… deux d'entre eux m'ont accompagnée durant ma jeunesse. L'un faisait des dessins rigolos à la télévision pour une émission pour enfants, je regardais ça quand j'avais ton âge (on avait pas Netflix à l'époque, t'imagines la lose???). Il se moquait beaucoup du grand nez de la présentatrice et cela nous faisait beaucoup rire même si nous la vénérions (ta cousine allait même jusqu'à embrasser sa photo sur les magazines….). Le second? Mmmm…. je ne sais pas si jeux t'en parler maintenant…. Bon allez…

Vois-tu, le second dessinateur faisait des dessins super cochons. Ton tonton à l'époque était abonné à un magazine qui s'appelait l'Echo des Savanes et il les cachait dans le tiroir du bas de son meuble qui est maintenant  à la maison. Il y avait aussi des films avec des femmes à grosse poitrine. Tu ne trouveras rien de tel ici, car j'y range juste mon désordre...

Quand j'avais 12 ans, j'allais dans la chambre de ton oncle car les trucs interdits titillaient ma curiosité. Tes grands-parents m'avaient mise dans une école catholique avec que des filles alors il fallait bien que j'apprenne toute seule comment fonctionnaient les adultes. Bref, je feuilletais en cachette ce magazine et crois-moi, cela a été une révélation : c'était sale, plein de poils aux fesses… mais instructif.
Je sais bien que ton frère et toi vous lorgnez sur les BD "qui sont pas pour vous", celles que Papa et moi rangeons tout en haut de l'étagère. Un jour, on vous laissera lire ces BD mais pas là maintenant tout de suite…

Là maintenant tout de suite, notre priorité c'est de vous aider à vous construire pour que vous deveniez des adultes responsables, ouverts, heureux.

Vous devez souvent nous entendre nous engueuler quand on aborde le sujet de votre école, car ce que tu apprends à l'école est presque plus important que les règles que nous vous imposons à la maison. Papa et moi sommes souvent en désaccord.

Ton frère a toujours été dans des écoles françaises privées à Londres et à New-York. C'est un petit cocon confortable qu'on a choisi pour lui, pour l'aider à progresser en français, et puis parce que c'est le plus grand et que ton père et moi, nous ne connaissions que ce système finalement. On a pas pris de risques.

Mais toi, tu ne veux pas aller dans l'école de ton frère, "il y a trop de devoirs", "je ne veux que parler anglais" me dis-tu souvent. Alors pour toi, nous avons choisi une école différente, une école publique anglaise. Nous avons beaucoup hésité, beaucoup cherché et puis en regardant des documents sur Internet, nous avons vu que les résultats de ton école étaient très bons, "outstanding" comme ils disent ici. "Ca c'est une école pour ma grosse mémère!" me suis-je dit.

Les premiers jours de l'école, j'étais un peu perdue. Nous paraissions être les seuls français parmi 90 familles et cela s'est confirmé par la suite. Tu sais, beaucoup de mamans françaises que je croise à l'école de ton frère ou ailleurs ne comprennent pas que j'ai pu t'inscrire dans une école comme celle-ci, elles me regardent comme si j'étais un ovni irresponsable. Ce qui les dérange, c'est qu'il n'y a que des gens de couleur, comme nous… Tu sais, ces mamans, au début, elles ne m'adressaient pas la parole car elles pensaient que j'étais votre nanny… Au bout d'un certain temps, elles ont compris que non. 

Mais ce qui les dérange le plus, ce sont les mamans voilées. C'est vrai qu'il y en beaucoup à la sortie de l'école mais tu n'as pas du faire attention. Ce sont les mamans de tes copains, ceux avec qui tu joues tous les jours, dont tu me parles sans cesse et que tu voudrais inviter à la maison. Au début, je ne savais pas comment aborder ces mamans, il y a une certaine réserve, un niveau d'anglais pas terrible des deux côtés et puis on court souvent après la sortie de l'école pour aller chercher ton frère. Le jour où la tuerie a eu lieu, quand je suis venue te chercher, je me suis sentie isolée, les yeux embués, au milieu de toutes ces mamans. Car les deux fous prétendaient avoir la même religion qu'elles et je ne me voyais pas aborder le sujet. Impossible.

Et puis, vous voilà, vous, les enfants. Vous sortez de votre classe en vous tenant la main, vous riez ensemble, vous faites les débiles, vous délirez à la sortie de l'école, on ne comprend rien à ce que vous racontez. On comprend juste que vous êtes heureux ensemble et que votre innocence et votre spontanéité sont précieux. Alors forcément, cela nous fait sourire. On finit du coup par se dire bonjour, se présenter, discuter de manière très polie. Sans plus. Comme toutes les mamans, j'aime ceux qui te rendent heureuse.

Tu sais, je ne suis pas aussi ouverte d'esprit que j'en ai l'air. Je vieillis et je m'assoies sur mes convictions, mes "à priori". Je ne sais pas si je suis un bon exemple pour vous. Alors, dans le doute, je mets de côté mes préjugés, ils ne t'apprendront rien.

Ton père et moi, nous allons juste nous assurer d'être présents, que tu ne manques de rien pour que tu n'ailles pas chercher ailleurs, par dépit ou frustration, ces grandes et petites choses que l'on ne trouve qu'au sein de la famille.

Ensuite, ce sera à toi de choisir qui tu veux être, c'est d'ailleurs pour cela que nous avons choisi de ne pas te baptiser au grand dam de la famille, pour que tu soies libre. Ce sera à toi de choisir qui tu veux faire rentrer dans ta vie, te lier d'amitié avec des gens que tu n'aurais pas eu l'occasion de rencontrer ailleurs et probablement pas dans notre milieu social.

Je te fais confiance mais bon… évite juste les abrutis et simples d'esprit, tu en croiseras partout.

Je t'aime

Maman"